BLOG - ATELIER DU LECTEUR
En lien avec mon cours universitaire "Atelier du lecteur", ils 'agit de partager ici sous forme de Blog mon rapport à la lecture... et celui de certains de mes étudiants (après leur autorisation), il va sans dire. Ces pages sont appelées à prendre de l'ampleur avec le temps..
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L’ATELIER DU LECTEUR
Naissance d’un projet – Lire à hauteur d’homme
Jeudi 4 juin 2020 - 8 h 05 :
Un peu atypique par son contenu très libre comme dans sa finalité, l’atelier du lecteur trouve sa source dans un module d’enseignement proposé par l’université de Lettres de Bordeaux-Montaigne. Atypique, car le savoir n’en est pas le centre. Le savoir être, peut-être. Un espace dédié au Connais-toi toi-même socratique. Une sorte de carte blanche donnée à la lecture, dans une perspective de préparation à l’orientation des étudiants. Présenté ainsi, il ne fait peut-être pas très envie. Quelque chose de froid, d’utilitaire. D’emblée, l’idée de lui offrir la liberté qu’il mérite s’impose. J’ai récupéré cet enseignement d’une collègue mutée. Malgré quelques échanges, la page est pour ainsi dire blanche. Je sais que j’en ferai quelque chose de différent de ce qu’il a pu être. Le professeur s’adressant aux étudiants dira « je ». Je dirai « je ». Et très tôt naît dans mon esprit une même attente envers les étudiants : à vous ! Racontez-moi le lecteur que vous êtes. Non pas le contenu de vos livres, merci, j’ai Internet et les livres pour ça. Mais pourquoi vous lisez, comment vous lisez, quand et où lisez-vous ? A qui appartiennent vos livres, et quels chemins ont-ils pris pour se retrouver dans vos mains ? Sont-ils petits, gros ou gras, vieux et précieux, annotés et cornés ? Lus et relus, partagés, ou numériques ? Dites-moi, au travers de vos livres, qui vous êtes…
L’essentiel reposait sur un rapport de confiance à instituer. Sans les exclure, pas d’obligation à revendiquer Proust ou Montaigne, pas de tabou, pas de panthéon littéraire. Sortir aussi du carcan lycéen d’œuvres patrimoniales, françaises pour l’essentiel.
« Un écrivain, c’est un homme, blanc, mort et qui écrit des livres ».
A cette définition d’élève de ce qu’est un écrivain, apporter un autre regard. Pour le « blanc », j’avoue c’est moi qui l’ajoute. Mais l’idée du concentré de stéréotypes à combattre est bien présente. Ouvrir les horizons. L’évaluation ne reposerait pas sur une qualité supposée de lecture, mais bien sur la capacité à « mettre de la chair dedans ». Se dévoiler dans ses lectures, pourquoi pas jusqu’à l’impudeur s’il le faut, car en face, la bienveillance sera au rendez-vous. Mais s’il s’agit d’ouvrir les horizons, alors la lecture ne devra pas s’enfermer dans la littérature : Et vous, que lisez-vous ?
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Naissance d’un projet – Lire à hauteur d’homme
Jeudi 4 juin 2020 - 10 h :
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Ainsi, d’emblée, lors du premier cours de présentation, cette affirmation : je demanderai aux participants un droit d’usage de leurs textes. J’hésite à l’écriture de ces lignes à l’utilisation du pronom personnel à adopter : « ils » ? « vous » ? Car qui lira ces lignes ? A qui fais-je moi-même le choix de m’adresser ?
Participer à cet atelier, c’est accepter que certains passages de vos écrits auxquels je reconnais une valeur puissent être lus. Et donc – même si je n’ai pas encore idée de la forme – ils pourront se voir diffusé, édités, mis sur les réseaux, avec pour seule garantie l’anonymat. Anonymat en conflit avec cette autre contrainte : comment travailler à faire connaître et reconnaître votre écriture tout en respectant cet anonymat qui la libère ? On verrait bien.
Et puis je vous ai lu. Moi-même graphomane de toujours, n’en déplaise à Kundera que j’ai tant aimé lire ; auteur peut-être, épistolier et diariste certainement. Et lecteur, bien sûr.
Alors ce n’est qu’au moment du bilan et de lecture que l’usage de cette matière textuelle s’est imposé : il me faudrait, à mon tour, écrire. Tenir mon journal de lecteur. Vous le donner en partage. Me dévoiler. Quitter la peau de l’enseignement qui évalue, pour endosser humblement l’habit du simple lecteur qui reçoit.
Ainsi le « vous » l’emporte et s’impose ? Soit. Je le laisse venir. Je m’adresse donc aux étudiants qui ont participé à cet atelier de lecture, mais aussi, au-delà, à tout lecteur, l’ensemble de ces anonymes dont nous faisons tous partie, papier, livre ou plus souvent téléphone en main, dans un bus, un tram, un parc ou sur son lit. Lecteurs qui le temps d’une minute ou d’une heure prendront le temps de lire, et se lire ; lecteurs anonymes lisant d’autres anonymes.
Après un certain nombre de semaines de lectures et de confinement, de confinement et de lectures, alors que mon travail d’enseignant me laisse un peu plus de temps, je vois le moment venu de me saisir du clavier pour donner forme à ce projet. Rendre à l’écrit sa part de dialogue. Avec les vivants, avec les morts, avec les morts à naître aussi.
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Dire le monde – le quotidien extraordinaire
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Samedi 6 juin 2020 - 10 h 20 :
J’ai terminé ce matin un petit roman de Laurent Seyer avalé en deux jours. Publié aux éditions Finitude, c’est son second roman et il vient de sortir [Laurent Seyer, Ne plus jamais marcher seuls, 2020]. J’avais déjà lu le premier sur un univers qui m’est complètement étranger, le foot [Les poteaux étaient carrés, Finitude, 2018]. « petit roman », l’expression peut paraître condescendante. Alors que je sais combien il est difficile de faire simple. Pour les éditions Finitude, j’en parlerai un autre jour. Pour ce roman dont le succès aura à mon avis pâti de ces dernières semaines de pandémie et les éditeurs le présentent comme une comédie sentimentale. De fait, il s’agit aussi d’une chronique sociale, photographie de deux univers peu enclin à se rencontrer, ceux d’une jeune journaliste parisiano-branchée et d’un chauffeur de taxi à Liverpool, hooligan sur le retour, pro-brexit et sans doute alcoolique. Le fait que la rencontre ait lieu en novembre 2015 à quelques jours des attentats du Bataclan nous plonge dans des souvenirs que nous partageons tous. Pour moi, l’univers journalistique évoqué a fait écho à ma lecture l’an dernier d’un récit autobiographique qui a pourtant peu à voir, Le lambeau, œuvre de Philippe Lançon, survivant de l’attentat de Charlie Hebdo [Gallimard 2018 – prix Fémina & Renaudot] Et le roman a su ménager quelques rebondissements qui eux ne sont pas attendus. Une réussite.
Pour ce second temps d’écriture partagée avec vous, je me lance dans la réalité de mon projet : vous faire partager aussi des extraits ou des bribes de ce que vous avez vous-mêmes pu me faire partager de vos lectures et de vos écrits. Ainsi Noémie dans son propre journal se livre.
« Les livres que je possède, en totale exposition dans ma chambre sur plusieurs étagères, ont tous partagé un épisode de ma vie. De cette manière, ils ont tous des significations ou des valeurs différentes qui leur sont rattachés. La majorité sont un parfait tremplin pour laisser s'exprimer mon imagination et lui permettre un meilleur épanouissement. Néanmoins, au cours de ces dernières années, c'est davantage une littérature de romance qui a pris sa place sur mes étagères ; en opposition à une littérature fantastique. Cette présence peut être expliquée notamment par l'espoir que je souhaite nourrir, et par ma volonté de croire en l'autre et en l'amour. »
Face aux lectures obligatoires, Noémie résiste. Je la comprends. Romance ou fantastique, et même s’il n’est pas question de se détourner non plus toujours de ces dernières qui ont aussi leur sens, c’est tellement agréable un matin de week-end de ne pas céder aux lectures de travail, ou pire, aux injonctions morales de lectures perçues comme nécessaires… De ce côté Noémie se laisse toutefois prendre aux filets de l’ambivalente Anna Karénine.
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« […] je dois reconnaître que j'ai changé d'avis concernant ce livre. Suite à une rapide discussion avec des camarades de classe, j'ai pris conscience du potentiel que l’œuvre de Tolstoï portait. Posée dans ma petite chambre étudiante, je suis parvenue à atteindre la moitié du livre. Bercée par les intrigues familiales, amoureuses ou bien de trahisons ; je cherche perpétuellement le véritable lien qui unit le contenu de ce bouquin et le titre qu'il porte. De plus, je dois avouer que ma professeur a réussi à rehausser la valeur que je lui attribuais ; je dirais même qu'elle l'a bien vendue ! ».
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Noémie conclut quelques semaines plus tard...
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« J’ai ressenti beaucoup de pitié pour certains personnages qui semblent totalement piégés par l’amour qu’ils éprouvent. [...] j’ai enfin compris le lien entre le titre de l’œuvre et son contenu. »
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La romance n’est pas toujours réservée à une littérature de gare, une littérature genrée et perçue comme de peu de valeur. Lorsque j’étais moi-même étudiant, je me souviens avoir beaucoup vibré à la lecture de l’histoire d’amour d’un garçon se confiant au psychiatre chez qui on l’a envoyé : Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué, ainsi que sa suite, récit du même garçon retrouvant son grand amour alors qu’il est devenu une jeune adulte. Le cœur sous le rouleau-compresseur. Ces deux romans sont d’un clown-psychiatre américain, Howard Buten [Buten est un spécialiste de l’autisme – les deux romans cités, publiés dans la Édition Points respectivement en 1981 et 1984]. Quelques années plus tard je suis allé voir son spectacle à Paris, presque muet, drôle, grinçant et mélancolique. Je me souviens d’un temps fort où après avoir fait « accoucher » un petit violon d’une contrebasse, et l’avoir materné dans son jeu scénique, il l’oublie et finit par s’asseoir dessus Je devais moi-même sortir de mon grand chagrin d’amour d’adolescent je crois, d’où le fait que ces livres m’aient particulièrement touché. J’avais alors fait une dépression – on n’a jamais nommé la chose à l’époque – et celle-ci fut assez intense pour qu’à seize ans je perde mes cheveux. Ce n’est pas si rare paraît-il. Une phrase du roman – le premier ou le second, je ne suis plus très sûr. Sans doute le second – m’a longtemps accompagné : « La fille de ses rêves, il vaut mieux en rêver. ». Écrivant ces lignes, j’effectue une rapide recherche et découvre que le premier livre a été adapté au cinéma. Ça m’avait tout-à-fait échappé. Sans doute le film n’avait-il pas rencontré un grand succès.
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Roman rose, roman noir, roman de gare, roman genré....​
La littérature est-elle genrée ? C’est très certainement une question sur laquelle je reviendrai un jour. La littérature de gare semble l’être, oui. Mais qu’appelle-t-on littérature de gare ? L’expression apparaît à la fin du XIXe siècle, avec le chemin de fer bien entendu, mais aussi avec l’ancêtre du livre de poche. Une littérature bon marché, écrite sans vocation à durer, publiée dans de petits formats. Existe-t-il une sous-littérature ? Tout ne se faut pas c’est une certitude, même si socialement construite, la hiérarchie des valeurs est elle-même à interroger. La littérature jeunesse ne connaît que depuis une petite génération la reconnaissance universitaire ou commerciale qui lui revient.
Dans l’Atelier du Lecteur, Noémie n’est pas la seule à avoir un goût affirmé pour les romans à l’eau de rose. Ainsi Ana est adepte des plateformes numériques offrant des romans amateurs à des amateurs/-trices ? de romans.
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« J’ai tendance à favoriser le plaisir de lire et non le besoin de lire pour réussir une matière scolaire. Les livres aux programmes sont pour moi de l’ordre du scolaire ce qui me bloque dans mon plaisir de lectrice active. La notion d’obligation et de temps limité pour apprécier des livres réfrène mes envies de lire ces œuvres. C’est pour cela que depuis maintenant environs 2 ans, je me vois préférer les livres amateurs [accessibles] en ligne gratuitement sur différentes plateformes tels que Wattpad ou Fyctia. En effet, en plus d’être accessibles constamment, ils sont beaucoup plus faciles à transporter, il y a un champ vaste de lectures possibles. De plus, il est à notre époque du numérique possible d’écrire de façon amateure et de devenir un auteur célèbre, tel que ce fut le cas pour Anna Todd avec son best-seller After publié en tant que fanfiction sur Wattpad puis en librairie en 2015. De plus, il existe également un film, grâce à son succès. Cela a même permis à de nouvelles éditions de voir le jour, car celles-ci étendent leur champ de recherche sur des plateformes communautaires. »
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Nous entrons ici sur un terrain générationnel et pas que. Alors que mon fils aîné demande pour l’anniversaire de ses vingt ans une liseuse, je suis confronté à une pression persistante de ma femme pour défricher nos étagères surchargées des livres que nous ne lirons jamais. La lecture-plaisir d’Ana me fascine tant elle est éloignée de la mienne. Non pas en raison du support, mais du doute qui m'habite d'en avoir seulement une, Toute lecture passe chez moi par un filtre qui n’a rien à voir avec un choix à l’aveugle.
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« Je ne suis pas heureuse de mon non-plaisir pour la lecture, je suis certaine que les livres que je ne lis pas sont pourtant source de plaisir. Mes lectures sont depuis quelques années, sans doute trop, centrés sur les résumés et non plus sur le plaisir de la découverte. Je me souviens que, par le passé, j’appréciais lire tous les livres et principalement ceux sans résumé, ceux à la couverture neutre. C’est de cette façon que j’ai découvert divers styles et donc également créée ma nature de lectrice. Et particulièrement trois livres qui m’ont marquée : Mon Seigneur et Maître [Tehmina Durani], Scarlett [Alexandra Ripley] et L’Arbre aux Secrets [Santa Montefiore]. »
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Je me souviens avoir lu adolescents deux ou trois San-Antonio. Frédéric Dard, une langue à lui tout seul.
Dans la brume électrique de James Lee Burke est le dernier polar que je viens de terminer. Une atmosphère un peu sordide dans le Sud des États-Unis, ce qui veut tout dire en terme de discriminations et de racisme.
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